On a testé… l’Audio Spatial, la musique en trois dimensions d’Apple

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Selon Apple, un iPhone et un casque audio suffisent à profiter d’un son immersif. NICOLAS SIX / LE MONDE

C’est un vieux fantasme de l’industrie musicale : plonger les auditeurs dans une bulle acoustique où le son viendrait de tous les côtés. La première tentative commerciale remonte à 1972 avec l’apparition des vinyles quadriphoniques, la seconde aux disques SACD multicanaux lancés en 2001. Quelques milliers d’enregistrements plus tard, la musique immersive n’a pas vraiment percé, elle demeure une marotte d’audiophiles. Les choses pourraient-elles changer ? Trois services de streaming musical s’y sont convertis récemment.

Après l’arrivée du format Sony 360 Reality Audio chez Deezer et Tidal en 2019, puis celle du format concurrent, Dolby Atmos chez Tidal, en 2020, Apple Music vient d’entrer dans le jeu. Mardi 8 juin, des morceaux spatialisés en Dolby Atmos sont apparus dans son catalogue, sans renchérir son offre de musique illimitée (10 euros mensuels, contre 15 chez Deezer et 20 chez Tidal). Grâce à ces trois offres, la musique spatialisée touche soudain trois millions de Français. Une bonne raison de redonner sa chance à ce vieux rêve.

  • Quels titres sont compatibles ?

Nos écoutes de morceaux en Dolby Atmos sur Apple Music nous ont fait connaître quelques moments de grâce. Nous avons découvert des versions excitantes de morceaux populaires d’aujourd’hui et d’hier, dansé sur une version diabolique d’Express Yourself, de Charles Wright, connu l’impression troublante d’être assis dans un petit club à côté de Norah Jones. Mais avant d’en arriver là, notre aventure a connu plusieurs rebondissements désagréables.

Premier défi : trouver des titres en Dolby Atmos dans l’usine à gaz qu’est Apple Music. Les chances de tomber sur un morceau par hasard sont infimes. Apple ne propose que quelques milliers de titres en Dolby noyés dans un catalogue de dizaines de millions de références. Son moteur de recherche n’aide en rien : on est prisonnier de la sélection d’Apple.

Apple propose huit best of thématiques qui contiennent uniquement des titres en Dolby Atmos. APPLE

Ses best of « Audio Spatial » renferment en revanche des centaines de titres en Dolby Atmos. Avec un peu de doigté, on remonte jusqu’aux albums source de ces morceaux, qui contiennent parfois d’autres titres en « Audio Spatial » – pour simplifier, la traduction de Dolby Atmos chez Apple. C’est ainsi qu’on découvre l’album Abbey Road, chef-d’œuvre des Beatles, remixé en Dolby Atmos en 2019. Au final, nous ne dénicherons pas de quoi remplir notre quotidien de son spatial, mais seulement de quoi nous forger une minicollection d’albums correspondant à nos goûts.

Pour l’heure, le catalogue Dolby Atmos d’Apple est décevant. Il ne comporte aucune exclusivité et passe aux oubliettes certains chefs-d’œuvre de l’Audio Spatial comme The Soft Bulletin des Flaming Lips, pourtant disponible en enregistrement immersif, ainsi que le note Sylvain Siclier, l’un des critiques musicaux du Monde, qui nous a accompagnés dans nos pérégrinations acoustiques.

Mais Apple dit croire en ce format : l’entreprise compte accompagner des artistes et des studios dans leur transition. Il faut dire que chaque morceau doit faire l’objet d’un travail spécifique et fastidieux, mené par un ingénieur du son. Celui-ci doit récupérer l’enregistrement originel, souvent composé de nombreuses pistes sonores séparées – voix, guitares, percussions, chœurs, claviers – pour les positionner dans un espace à 360°.

  • Quel rendu sur smartphone ou au casque ?

Munis de notre sélection de titres, nous attaquons le second défi : trouver un appareil de lecture faisant honneur au son spatialisé. Théoriquement, le Dolby Atmos est lisible sur n’importe quel type appareil : il s’y adapte automatiquement. Nous commençons par le tester sur un iPhone 12, compatible selon Apple, même s’il dispose seulement de deux haut-parleurs. L’écoute est décevante. Si amélioration il y a, elle est vraiment très discrète.

L’iPad Pro 11 possède quatre haut-parleurs, et à l’écoute, la différence est plus nette. Sur certains morceaux, le son prend indéniablement de l’ampleur. On reste toutefois loin de la sensation d’immersion sonore promise. Et au passage, on note que les voix sonnent souvent moins naturellement. Le Dolby Atmos peut aussi être écouté sur un casque branché à un iPhone, automatiquement lorsqu’il s’agit d’un casque Apple ou Beats, ou moyennant réglages quand il s’agit d’une autre marque.

Aux premier et deuxième plans, les deux excellents casques sans fil sur lesquels nous avons testé le Dolby Atmos : les AirPods Max d’Apple, et le WH-1000xm3 de Sony. NICOLAS SIX / « LE MONDE »

L’écoute au casque décevra les amateurs de rendu sonore naturel. Les voix paraissent souvent un peu chimiques, les basses parfois sourdes et maladroites. Mais d’autres auditeurs devraient apprécier l’impression d’espace qui progresse bel et bien, quoique sur certains titres seulement. De toute façon, on reste encore assez loin du bain sonore enveloppant dont nous rêvions.

La musique sort clairement de l’écouteur gauche et de l’écouteur droit : on n’a pas l’impression qu’elle provienne de partout autour de nous comme dans une salle de cinéma dont les sièges sont entourés de haut-parleurs. Pour donner l’illusion de profondeur avec un simple casque stéréo, Apple recourt à un traitement audio complexe, à base de filtres directionnels, traitements psycho-acoustiques binauraux, ajustement fréquentiel différentiel selon les oreilles. Et d’après nos tests, ces traitements divisent : certains apprécient, d’autres pas.

Notons que cette sensation d’espace pourrait progresser à la fin de l’année lorsque Apple activera le suivi de la position du visage sur ses casques maison. Le rendu sonore changera en fonction de l’orientation du visage, renforçant théoriquement l’illusion d’un son immersif.

  • Quel rendu avec plusieurs haut-parleurs ?

Quelques heures ont passé, et l’aventure du Dolby Atmos nous laisse sur notre faim. La révélation tarde, mais elle finit par arriver. Nous testons des morceaux en Dolby Atmos sur un ensemble de six haut-parleurs disposés tout autour de nous, un home cinéma 5.1 comme on en trouve dans certains salons autour de la télévision, connecté à un boîtier multimedia Apple TV 4K. Cette installation libère les morceaux, nous rencontrons la sensation d’espace tant espérée. Et cette fois-ci, le naturel sonore ne régresse pas d’un pouce.

Reste une dernière épreuve : faire le tri entre les morceaux convaincants et ceux, plus nombreux, qui ne rendent pas justice au Dolby Atmos. Exit les titres de Bob Marley aseptisés, aux voix sans couleur, à la rythmique si plate qu’elle fait passer l’envie de danser. Exit le Call Me de Blondie vidé de son énergie. « Ça sonne tout petit », regrette Syvlain Siclier.

Au bout du chemin, nous dénichons enfin quelques perles. Billie Eilish chantant Therefore I Am en chœur tout autour de nous, puis murmurant quelques confessions intimes d’un coin à l’autre. Les Beatles chantant Here Comes the Sun, comme un bain de joie de vivre, plus lumineux, plus accueillant, plus réconfortant que l’original.

Le début de la liste de titres que nous avons testés. La plupart du temps, nous avons réussi à trouver la version stéréo du morceau pour la comparer avec sa version Dolby Atmos.

Face à ces titres en Dolby, leur équivalent classique en « stéréo » paraît bien plat. Le Dolby donne la sensation d’être au milieu de la musique, pas devant. Tous les instruments sont étalés autour de nous dans un luxe de détails. Cet immense espace permet de déployer la voix dans toute son ampleur et sa richesse, de faire respirer la rythmique. Au risque, parfois, de perdre l’aspect direct, énergique et spontané de certains genres musicaux comme le punk. « Le danger est de disperser la musique », note Sylvain Siclier. Au risque aussi de casser l’authenticité et la douceur des ballades.

  • Quelles sont les musiques les plus adaptées ?

Mais de temps en temps, un mixage immersif finement ciselé nous réconcilie avec toute l’intimité dont le Dolby est capable, dans Angie des Rolling Stones par exemple, qui souligne si délicatement les guitares et le piano autour de nous. « C’est une mise en valeur assez fine du morceau », juge Sylvain Siclier. Tout semble dépendre du talent de l’ingénieur du son qui a mixé la version spatiale du morceau. La barre est haut placée.

Les musiques créatives profitent plus souvent du Dolby Atmos. A l’écoute de When Doves Cry de Prince, la guitare et les effets vocaux voyagent dans le mix, la partie rythmique semble avancer d’avant en arrière comme une locomotive. On peut, si on le souhaite, décortiquer les couches musicales du morceau, exposé si limpidement.

Black Skinhead de Kanye West passe en force, comme Paparazzi de Lady Gaga, avec des rythmes et des effets synthétiques massifs qui rebondissent dans l’espace, contrastant avec la voix englobante de ces artistes, qui occupe tout l’espace.

Mais c’est la musique classique qui profite le plus largement du Dolby : étonnante sensation d’ampleur, espace entre les instruments, troublante restitution de l’acoustique du lieu, si chère aux amoureux de la grande musique.

  • Une expérience concluante ?

Par brefs miroitements, le Dolby Atmos nous a fait entrevoir un univers sonore plus riche et créatif. Nous avons désormais un rêve : un monde où tous les morceaux, qu’ils soient contemporains ou vieux de deux siècles, existent en version stéréo et en version Dolby Atmos. Un monde ou l’on passe d’une version à l’autre d’un simple clic, ce qui est impossible aujourd’hui. Un univers où tous les ingénieurs du son ont l’expérience du son spatial. Un monde où chaque auditeur est équipé d’un ensemble de haut-parleurs home cinéma.

Nous aimerions connaître cet eldorado, mais en attendant qu’il advienne, la musique immersive ne passionnera probablement pendant un long moment qu’une poignée d’audiophiles.

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