Le calculateur quantique photonique de Xanadu a atteint la suprématie quantique

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C’est un des buzz du moment, la start-up canadienne Xanadu, fondée en 2016 à Toronto, a annoncé avoir atteint la suprématie quantique — ou ce que l’on peut présenter comme très similaire — avec son calculateur quantique programmable à photons.

Rappelons que l’on tend à définir la suprématie quantique comme le fait de pouvoir effectuer un algorithme sur une machine utilisant les lois de la mécanique quantique, essentiellement celles de la superposition des états et de l’intrication, pour effectuer un calcul très rapidement, disons en quelques secondes, alors que le meilleur algorithme pouvant faire le même calcul sur un superordinateur classique mettrait un temps si long qu’une vie humaine pourrait ne pas suffire pour attendre le résultat.

Il n’y a pas encore de formulation précise et unanime sur ce que l’on doit entendre par la suprématie quantique, ou l’avantage quantique qui signifie quasiment la même chose, si ce n’est une idée générale proche de l’explication qui vient d’être donnée.

Concrètement, dans le cas de Xanadu, et comme ses membres l’expliquent dans un article en accès libre publié dans le journal Nature, leur machine quantique baptisée Borealis a effectué en environ 36 microsecondes un calcul qui prendrait sur un superordinateur classique environ 9.000 ans, soit un facteur d’accélération vertigineux.

Une présentation de Borealis de Xanadu. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Xanadu

De Planck à Feynman avec la mécanique quantique

Il est toutefois d’usage de prendre des pincettes avec ce genre de résultat car il est parfois arrivé que la découverte d’un nouvel algorithme classique permette d’obtenir le même résultat, voire plus rapidement. Un calculateur, ou un ordinateur quantique universellement programmable, ne permet pas non plus systématiquement d’atteindre la suprématie quantique.

Enfin, rappelons que les calculs quantiques sont physiquement affectés sur des systèmes physiques par des perturbations très importantes qui, au minimum, produisent beaucoup d’erreurs ou rendre impossible l’exécution complète d’un algorithme d’autant plus rapidement qu’il nécessite un grand nombre de qubits, les équivalents quantiques des bits d’informations classiques. C’est le fameux problème de la décohérence qui a, de fait, rendu sceptiques bien des spécialistes sur les performances véritables que pourraient avoir des ordinateurs quantiques universellement programmables. Bien que ces dernières années, beaucoup soient devenus plus optimistes quant aux performances de machines que l’on peut appeler des calculateurs, ou simulateurs quantiques — car spécialisés dans l’exécution de certains algorithmes –, nous sommes peut-être malgré tout au seuil d’une révolution quantique.

Cela donnerait au moins raison une fois de plus au génie visionnaire de Richard Feynman, pionnier de la théorie des ordinateurs quantiques, qui avait proposé d’utiliser les lois et les systèmes physiques de la mécanique quantique pour simuler rapidement le comportement d’autres systèmes quantiques intraitables avec des ordinateurs classiques ou pour le moins très difficilement, comme les propriétés de molécules en chimie quantique ou encore le comportement des quarks et des gluons dans les hadrons.

Découvrez en animation-vidéo l’histoire de la physique quantique : depuis la catastrophe ultraviolette jusqu’aux promesses de l’ordinateur quantique en passant par la première et la deuxième révolution quantique avec les idées de Feynman et Peter Shor. Une animation-vidéo co-réalisée avec L’Esprit Sorcier. © CEA Recherche

Des Qubits avec des états comprimés photoniques

Mais revenons à Xanadu et Borealis. La machine opère avec des photons et elle n’a pas besoin d’être refroidie presque au zéro absolu contrairement à bien d’autres circuits quantiques qui se protègent du bruit thermique dégradant rapidement les calculs quantiques.

Les calculs quantiques avec des photons se font souvent avec deux états de polarisation des photons permettant d’avoir un qubit quantique avec une superposition de ces deux états équivalente à une superposition quantique de 1 et de 0. Mais le cas de Borealis, ce sont des états quantiques du champ électromagnétique de la lumière différents qui sont utilisés, des exemples de ce que l’on appelle des états comprimés ou squeezed-states en anglais.

Techniquement, un exemple de ces états se réalise en mécanique quantique avec un oscillateur harmonique, c’est-à-dire essentiellement l’équivalent d’un poids oscillant au bout d’un ressort. On peut considérer un champ électromagnétique comme un ensemble de tels ressorts puisque des particules chargées dans un champ oscillant se comporteraient comme ces oscillateurs harmoniques. Un état comprimé serait celui, ou en accord avec les relations de Heisenberg, le produit des « incertitudes » sur la position et la quantité de mouvement de la particule au bout d’un ressort oscillant aurait la valeur minimale possible et donc caractériserait en quelque sorte l’état le moins flou et bruité quantiquement pour un oscillateur — c’est un peu différent dans le cas des états comprimés avec des photons mais le but et l’idée sont très similaires.

Borealis exploite donc une superposition quantique d’états comprimés des photons et en l’occurrence 216 qubits avec ces états.

On peut trouver sur le site de Xanadu et dans les vidéos qui l’accompagnent une description de la machine.

En gros, on peut la considérer comme une boîte noire avec des photons qui entrent par plusieurs canaux et qui en sortent par d’autres avec des détecteurs pour compter le nombre de ceux qui sortent par chaque canal dans chaque expérience réalisée.

L’intérieur de la boîte est un ensemble de dispositifs (des lames séparant des rayons de lumière et des interféromètres notamment) affectant les faisceaux de lumière qui entrent, d’abord en produisant des états compressés à partir d’impulsions laser, puis en les séparant en d’autres faisceaux, changeant ce que l’on appelle leur phase et produisant des intrications entre les photons présents ainsi que des interférences

L’ensemble de ces dispositifs se comporte comme les portes logiques élémentaires des ordinateurs classiques que l’on peut combiner pour former bien des opérations et donc réaliser un grand nombre d’algorithmes différents que l’on peut vouloir programmer. Mais il s’agit de portes logiques quantiques comme celles dont on parle dans la vidéo ci-dessous.

Une présentation plus poussée du concept d’ordinateur et d’algorithme quantique. © CEA Recherche

Des calculs quantiques de théorie des graphes

Techniquement à nouveau, Borealis se comporte mathématiquement comme une matrice, un tableau de nombres, permettant de produire à partir d’une colonne de nombres en entrée, une colonne de nombre en sortie (les canaux de photons avec un décompte de ceux qui arrivent pour chaque canal). Cette matrice code un algorithme programmable, autant de matrices, autant d’algorithmes.

En finalité, Borealis réalise ce que l’on appelle aussi de l’échantillonnage bosonique gaussien (les photons sont des bosons) encore appelé Gaussian boson sampling (GBS) en anglais. À chaque expérience, les photons entrant par les canaux suivent des chemins différents dans la machine et sortent selon une répartition différente dans les canaux finaux.

Mais la répartition moyenne des photons pour chaque détecteur en sortie de canal doit se comporter en accord avec une distribution de probabilité qui est proportionnelle à une quantité qui se calcule avec la matrice de l’algorithme implémenté dans Borealis, une quantité que les mathématiciens appellent le hafnien d’une matrice (à ne pas confondre avec ce que l’on appelle le déterminant). Le hafnien devient de plus en plus difficile à calculer classiquement avec le nombre d’entrées et de sorties — qui sont égaux, la matrice étant carrée comme on dit.

Mais comme on l’a dit, Borealis a effectué un calcul de hafnien  en 36 microsecondes au lieu de 9.000 ans qui seraient nécessaire sur Fugaku 415-PFLOPS ( un superordinateur japonais développé par Fujitsu pour le compte de l’institut scientifique japonais RIKEN et présenté en 2020 comme le plus puissant supercalculateur au monde) et ce, 50 millions de fois plus vite qu’avec de précédents calculateurs quantiques avec des photons. Cerise sur le gâteau, Xanadu a donné un accès libre en ligne dans le cloud à sa machine de sorte que, en principe, tout le monde peut essayer de programmer un algorithme sur Borealis.

Xanadu a mis en ligne des tutoriels pour programmer en python avec des « softwares » comme PennyLane et Strawberry Fields.

Une présentation de la puce photonique de Xanadu. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Xanadu

Parmi les perspectives ouvertes par Xanadu, il y a le Machine Learning quantique et le fait que la technologie derrière Borealis permet en théorie de faire grimper facilement la taille du calculateur quantique photonique. Les membres de Xanadu pensent même qu’ils peuvent atteindre le million de qubits !

Atteindre la suprématie ou encore ce que l’on appelle l’avantage quantique est une chose mais accélérer prodigieusement l’exécution d’un algorithme n’a un impact que si l’algorithme en question a le potentiel de résoudre concrètement des problèmes pratiques important. Quel est donc l’intérêt de pouvoir calculer rapidement le hafnien des matrices de grandes tailles ?

Il se trouve que le hafnien, pour des déterminations de GBS, est impliqué dans des calculs de théorie des graphes pour faire de l’optimisation, de Machine Learning et en chimie quantique lorsque l’on cherche à déterminer des spectres de molécules qui vibrent. Dans ce dernier cas, cela permet de prédire et d’étudier comment les matériaux absorbent la lumière à différentes fréquences. Les spectres d’absorption étudiés peuvent être utiles pour l’optimisation du rendement des cellules solaires ou dans le développement de produits pharmaceutiques comme l’explique une des pages de Xanadu dont nous reprenons les commentaires dans ce paragraphe et le suivant.

Rappelons pour terminer que la théorie des graphes peut être utilisée pour modéliser les marchés financiers, les réseaux biologiques et les réseaux sociaux. Les graphes sont composés d’un ensemble de nœuds interconnectés et un des problèmes que l’on cherche souvent à résoudre avec eux est d’y trouver des clusters, c’est-à-dire des régions avec un haut niveau de connectivité. Elles peuvent correspondre à des communautés dans des réseaux sociaux, des actifs corrélés dans un marché ou des protéines mutuellement influentes dans un réseau biologique.

Un calculateur quantique avec une puce photonique comme celle de Borealis devrait pouvoir fonctionner avec 1 million de Qubits. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Xanadu

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