Apple se défend de supprimer arbitrairement des apps de contrôle parental

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La fonction Temps d’écran, inaugurée avec iOS 12, permet de contrôler le temps passé devant son iPhone ou son iPad et, le cas échéant, de limiter l’usage des applications aux enfants de la famille qui abuseraient.

Mais Temps d’écran n’est pas parfait : il n’est compatible qu’avec iOS alors qu’au sein d’un même foyer, des iPhone peuvent côtoyer des appareils Android, des consoles de jeux et des ordinateurs classiques1. Les mouflets les plus malins ne mettront pas longtemps pour s’affranchir des limites de la fonction.

Et même si Apple continue d’apporter des nouveautés — c’était le cas avec iOS 12.2 —, Temps d’écran n’est pas encore la panacée. Greg Joswiak, le vice-président marketing produit d’Apple, avait expliqué en octobre dernier que la fonction n’avait pas été conçue pour brider l’utilisation d’un appareil (comprendre : celui d’un enfant), mais pour informer.

C’est pourquoi il existe de la place pour des applications tierces plus complètes… qu’Apple a commencé à supprimer de l’App Store. Le New York Times a fait les comptes en relevant que 11 des 17 applications de gestion du temps d’écran et de contrôle parental les plus téléchargées avaient été retirées de la boutique. Sans compter les dizaines d’autres apps moins connues.

Comme souvent avec Apple, les éditeurs de ces applications ont eu peu de temps et d’informations pour se plier aux exigences de la Pomme. De plus, il s’agit d’apps présentes sur l’App Store depuis des années, et pour lesquelles de nombreuses mises à jour ont été validées sans que cela pose aucun problème.

« [Apple] tue notre industrie », déplore ainsi Amir Moussavian, directeur général de OurPact, du nom d’une app téléchargée plus de trois millions de fois et supprimée de la boutique d’Apple en février. L’app iOS représentait 80% du chiffre d’affaires de l’éditeur. « Est-ce que vous pouvez vraiment croire qu’Apple veut que les gens passent moins de temps sur leurs téléphones ? », enchérit Fred Stutzman, directeur général de Freedom, une app retirée en août dernier.

Pourtant, Tim Cook a encore tout récemment expliqué, lors d’une conférence Time 100, qu’Apple ne voulait pas que les utilisateurs passent tout leur temps devant leur téléphone : « Cela n’a jamais été un objectif pour nous ». La suppression de ces apps donnent une toute autre lecture de ces déclarations.

Tammy Levine, une porte-parole d’Apple, a expliqué au NYT qu’Apple traitait toutes les applications de la même manière, « y compris celles qui concurrencent nos propres services ». Le constructeur veut proposer à ses utilisateurs les apps les plus qualitatives possible. Si Apple a retiré ces applications, c’est parce qu’elles pouvaient obtenir beaucoup trop d’informations sur les appareils de leurs utilisateurs. Elle ajoute que le timing du retrait n’était pas lié au lancement de Temps d’écran… même si on ne peut s’empêcher de penser que ce timing est pour le moins malencontreux.

Fait inhabituel, Phil Schiller a donné de plus amples explications d’une manière informelle, en répondant aux interrogations d’un utilisateur dans un e-mail partagé par MacRumors. La réponse du grand patron du marketing et de l’App Store tranche sur la forme, car il a voulu aller au fond des choses (habituellement, la correspondance entre utilisateurs et dirigeants d’Apple est plus concise).

Phil Schiller, qui regrette que le NYT n’ait pas publié le communiqué au complet, explique que la chasse aux apps de contrôle parental a débuté l’an dernier. Ces logiciels utilisent des outils MDM (Mobile Device Management) nécessitant l’installation d’un profil spécifique sur l’appareil à surveiller. Ces outils ne sont pas interdits par Apple, mais ils se limitent normalement aux flottes d’entreprises ou d’établissements scolaires.

« La technologie MDM n’est pas conçue pour permettre à un développeur d’avoir accès et de contrôler les appareils et les données des utilisateurs », indique Schiller. « Mais c’est ce que faisaient les apps que nous avons supprimées ». Dans l’esprit d’Apple, « personne, sauf vous, ne devrait avoir un contrôle sans limites à l’appareil de votre enfant, connaitre sa localisation, traquer l’usage de ses applications, contrôler leurs comptes mail, la navigation sur internet, l’utilisation de l’appareil photo, l’accès réseau, et avoir accès à la suppression à distance de leurs appareils ».

Le dirigeant d’Apple rappelle également qu’il existe des risques de sécurité liés à l’utilisation de profils MDM, permettant à des malandrins d’installer des applications à des fins malveillantes. On comprend aussi que l’équipe de l’App Store a pris du temps pour comprendre la manière dont les éditeurs de ces apps avaient contourné les technologies MDM, ce qui explique peut-être pourquoi ces logiciels ont été disponibles dans la boutique pendant si longtemps sans être inquiétés.

L’histoire a en tout provoqué des réactions épidermiques. Tony Fadell, qui a contribué au développement de l’iPhone, a fait de la lutte contre l’addiction aux smartphones un de ses chevaux de bataille (lire : Tony Fadell met en garde contre l’addiction aux smartphones). Dans une série de tweets, il se plaint des déficiences de la fonction Temps d’écran, dont la v1 est qualifiée de « boulot vite fait mal fait » et peu intuitive.

Fadell appelle au développement d’une API réellement multi-plateformes, pas uniquement limitée aux systèmes d’Apple, mais aussi à Windows, Android, Xbox, PlayStation, etc. Une telle solution ouverte peut elle venir d’Apple ? Après tout, la Pomme fournit déjà des outils open-source dans le domaine de la santé. Reste à voir si le reste de l’industrie sera prête à suivre le mouvement.

Dans sa lettre, Phil Schiller semble répondre à plusieurs interrogations de son ancien collègue : « Nous allons continuer à fournir des fonctionnalités, comme Temps d’écran, destinées à aider les parents dans la gestion de l’accès à la technologie par leurs enfants, et nous allons travailler avec les développeurs pour fournir de super apps pour cet usage, en utilisant des technologies qui soient sécurisées et respectueuses de la vie privée ».

On n’a en tout cas pas fini d’entendre parler de ce dossier. Les éditeurs de Kidslox et Qustodio, deux applications de contrôle parental, ont porté plainte auprès de la Commission européenne. Kidslox explique que son activité s’est réduite depuis qu’Apple a forcé l’app à opérer des changements qui la rendent moins utile que Temps d’écran. Kaspersky a attaqué Apple en Russie pour concurrence déloyale pour une affaire similaire.

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