Apple et Spotify, les deux voies des podcasts payants

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“Sacrée semaine pour le monde de l’audio.” En cette fin du mois d’avril, la productrice Melissa Bounoua en perd presque sa voix tant les géants du Net rivalisent d’annonces autour des podcasts, ces émissions à écouter en streaming ou en téléchargement sur son smartphone. Cette effervescence autour d’un secteur encore en devenir a de quoi ravir la cofondatrice de Louie Media, à l’origine notamment d’une série documentaire sur la sortie de l’enfance (Entre) et de débats sur la libération de la parole (Fracas) autour de sujets aussi sensibles que l’inceste. Apple, dès le mois de mai, et Spotify, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe dans le courant de l’année, vont tous deux proposer aux créateurs de rendre leurs contenus payants sous la forme d’abonnement mensuel. “Leurs initiatives changent clairement la donne, car ils ont les technologies nécessaires pour facturer facilement les abonnés d’applications mobiles, note la productrice. Sans compter qu’Amazon Music et Facebook s’y intéressent aussi.” 

Traditionnellement gratuits et rémunérés par la publicité (un marché encore naissant), ou développés pour le compte de marques, ces programmes vont pouvoir profiter de la puissance de frappe de ces grandes plateformes pour diversifier leurs sources de revenus. Apple Podcasts peut représenter jusqu’à 50 % de leur audience, suivie de Spotify (de 15 à 20 %), puis Deezer, Podcast Addict… Louie Media n’a toutefois pas attendu l’arrivée de cette distribution massive pour passer au payant. Depuis un an, son Club Louie propose des formules à 5 et 16 euros par mois afin de faire profiter les auditeurs des coulisses d’un programme, de bonus, voire d’une master class sur la conception d’une fiction ou d’un documentaire. Mais, pour l’heure, 1 000 personnes seulement s’y sont abonnées. L’arrivée des géants de la Toile va donc donner un coup d’accélérateur bienvenu. D’ailleurs, eux aussi ont tout intérêt à s’y mettre. Car ces formats séduisent de plus en plus les internautes. Outre-Atlantique, 116 millions d’Américains – soit 41 % des individus de plus de 12 ans – s’y sont mis. Dans l’Hexagone aussi cette tendance est forte. “Au mois de mars, les Français en ont écouté plus de 113,6 millions, un record, souligne Olivia Brunet, directrice de pôle à l’institut de mesure d’audience Médiamétrie. Et 60 % des auditeurs ont moins de 35 ans, un profil bien plus jeune que celui des radios.” 

Certes, les émissions traditionnelles accessibles en différé (celles de France Inter, de France Culture et de RMC en tête) concentrent la grande majorité du public. Mais les podcasts natifs (créés spécialement pour être diffusés sur Internet) commencent à attirer les internautes, à l’instar de ceux de la chaîne Culture générale, créée par les Choses à savoir, qui totalisaient 1,3 million d’écoutes au mois de mars. En outre, ils disposent d’un atout supplémentaire. “Les grandes plateformes peuvent soit nous acheter les droits d’une nouveauté, comme Netflix le fait avec des films et des séries dits originaux, soit passer des accords de distribution exclusifs pour se différencier de la concurrence, explique Joël Ronez, cofondateur de Binge Audio. Par exemple, nous avons signé un accord de ce type avec Spotify pour notre série On est chez nous.” Les montants de ces contrats restent confidentiels, mais ils peuvent varier de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers d’euros. “Surtout, ils peuvent être renouvelés pour une deuxième ou une troisième saison”, précise le producteur.  

Des productions exclusives avec Charles Pépin ou Mcfly et Carlito

Le groupe suédois, fort de ses 356 millions d’utilisateurs, est connu pour proposer les catalogues musicaux des grandes majors. Mais Apple Music, Amazon Music, etc., proposent peu ou prou la même chose. Offrir en supplément des contenus exclusifs lui permet donc non seulement de fidéliser les utilisateurs, mais aussi d’en attirer de nouveaux. “Nous cherchons à développer nos propres projets en nous appuyant sur des talents nationaux, précise Claire Hazan, directrice des podcasts chez Spotify. C’est le cas avec Une philosophie pratique de Charles Pépin, La Table ovale des influenceurs Mcfly et Carlito et Coming out, dans lequel des personnalités comme les chanteurs Pomme et Woodkid ou le réalisateur Xavier Dolan viennent parler de leur orientation sexuelle.” 

Afin de convertir au payant les producteurs à l’origine des 2,6 millions de programmes audio déjà accessibles, la société a décidé de ne prélever aucune commission sur les futurs abonnements pendant deux ans. Passé ce délai, le taux s’élèvera à 5 %, bien loin des 30 % imposés par Apple (pourcentage cependant divisé par deux la seconde année d’abonnement). “Pour l’instant, nous souhaitons installer ce nouveau genre et, surtout, aider les créateurs”, affirme Claire Hazan. L’entreprise n’a pas hésité non plus à sortir le carnet de chèques pour attirer de grands noms en exclusivité, dont Barack et Michelle Obama.  

Un chemin sur lequel ne s’est pas encore aventurée la firme de Cupertino, dont la stratégie est pourtant de se développer rapidement dans les services autour de ses iPhone et iPad : les films, les jeux vidéo, la presse, etc. Cela n’empêche pas la société Nouvelles écoutes de proposer courant mai sur Apple Podcasts les master classes de son émission Quoi de meuf ? pour 2,99 euros par mois, après une période d’essai gratuit de sept jours. Mais là encore, l’entreprise de Tim Cook ne signe aucune exclusivité pour l’instant. “Nous allons voir si notre communauté est prête à payer en testant ce format avec Apple, explique Norah Hissem, directrice générale adjointe de Nouvelles écoutes. Grâce à la puissance de sa distribution, nous espérons donner davantage d’ampleur à cette création.” Une nouvelle voie pour la voix. 


Opinions

Par Jean-Maurice RipertEmmanuel LechypreChristophe DonnerEmmanuelle Mignon

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