Ordinateur quantique : Google a-t-il atteint la suprématie quantique ?

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Google, comme tout le monde, n’est toujours pas en mesure de construire un vrai ordinateur quantique universel performant et ne le sera peut-être jamais. Mais un document de la Nasa ayant fuité sur le Web laisse penser – ce qui reste à confirmer – qu’une des équipes de chercheurs de Google serait tout de même parvenue à utiliser un calculateur quantique, ce qui n’est pas un ordinateur, pour battre vertigineusement en vitesse sur un problème spécifique un superordinateur classique.

C’est le buzz depuis quelques jours en ce qui concerne les ordinateurs quantiques. Tout est parti le 20 septembre 2019 d’un article publié dans The Financial Times, un célèbre quotidien économique et financier britannique. On pourrait être surpris que ce soit dans ce journal que soit annoncée une supposée avancée révolutionnaire dans le domaine des mythiques ordinateurs quantiques si cela ne concernait Google. Surtout, on répète depuis des années que ces ordinateurs pourraient casser sans problème les codes de nos cartes bancaires, sans oublier le fait qu’ils pourraient révolutionner le calcul scientifique, par exemple pour mettre au point de tout nouveaux médicaments.

En l’occurrence, The Financial Times fait état d’un document écrit par Eleanor Rieffel, aujourd’hui disparu d’un site de la Nasa mais dont on peut trouver une copie  complète avec comme titre Quantum Supremacy Using a Programmable Superconducting Processor, permettant de conclure que l’équipe de chercheurs du Quantum AI Lab, menée par John Martinis, aurait fini par atteindre le Graal de la suprématie quantique. Futura avait déjà consacré un article à ce physicien de l’University of California à Santa Barbara, et au sujet de la suprématie quantique, dans le précédent article ci-dessous.

Qu’est-ce qu’un ordinateur quantique ? Comment fonctionne-t-il ? Quelles différences avec le fonctionnement d’un ordinateur classique ? Pourquoi l’ordinateur quantique est-il très efficace pour résoudre certains calculs mathématiques qui deviennent impossibles à résoudre avec les ordinateurs classiques au-delà d’un certain volume de données ? Réponses en animation-vidéo. Une animation-vidéo co-réalisée avec L’Esprit Sorcier. © CEA Recherche

Que ce soit John Martinis ou Eleanor Rieffel et leurs collègues, des physiciens auraient donc fait fonctionner un calculateur quantique – qui n’est pas un ordinateur quantique universel programmable pouvant potentiellement exécuter n’importe quel algorithme de taille raisonnable pour sa mémoire et sa capacité de calcul – pour effectuer en environ 200 secondes un calcul qui nécessiterait environ 10.000 ans sur un superordinateur classique, du genre de ceux dont dispose la Nasa justement et qui peuvent servir de point de comparaison.

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Sycamore, un calculateur et pas un ordinateur quantique

La calculateur quantique de Google s’appellerait Sycamore et disposerait de plus de 50 qubits (54 précisément et 53 auraient été mis à contribution). Il serait spécialisé dans la simulation de ce que l’on appelle un circuit quantique aléatoire capable de manipuler 50 qubits. Pour faire simple, un circuit quantique aléatoire est un assemblage d’un choix aléatoire de portes logiques quantiques. Tout ceci reste à confirmer et pour le moment ni Google ni la Nasa ne répondent à aucun message des médias à ce sujet, n’infirmant ni ne confirmant rien par conséquent.

Si les résultats annoncés sont bien réels, une avancée importante aurait bien été accomplie mais on resterait encore très loin d’une véritable révolution. Rappelons qu’il reste toujours difficile de lutter contre le phénomène de décohérence quantique, même avec des codes correcteurs, qui rend rapidement imparfaits voire impossibles les calculs menés avec un assez grand nombre de qubits. Or, il en faudrait vraiment beaucoup pour vraiment battre les ordinateurs classiques dans la majorité des tâches où ils sont utilisés.

On sait de plus que rien ne garantit qu’un algorithme quantique pour résoudre un problème bien spécifique avec un calculateur quantique, qui est spécialisé dans son exécution, ne soit pas détrôné un jour, en ce qui concerne la vitesse de calcul qu’il permet, par un nouvel algorithme classique. De fait, c’est déjà arrivé.

Le physicien John Martinis parle dans cette vidéo des travaux menés pour établir la suprématie d’un calculateur quantique sur un surperordinateur classique pour un problème bien spécifique. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Simons Institute

  • Google est lancé depuis des années dans la course aux ordinateurs quantiques qui promettent de révolutionner les sciences par leur puissance de calcul.
  • Mais pour le moment, les progrès les plus importants restent dans le domaine des calculateurs quantiques, des machines qui exploitent la mécanique quantique pour implémenter des algorithmes quantiques spécifiques à une classe de calculs limités à une machine qui n’est donc pas programmable à volonté, comme le serait un vrai ordinateur.
  • Des calculateurs avec une cinquantaine de qubits sont en cours de réalisation et l’un d’eux a peut-être atteint le Graal de la suprématie quantique, c’est-à-dire effectuer au moins un calcul bien plus rapidement qu’avec des ordinateurs classiques.

Ordinateur quantique : Google aurait fait des progrès significatifs

Article de Laurent Sacco publié le 10/09/2016

Google, comme tout le monde, n’est toujours pas en mesure de construire un vrai ordinateur quantique universel performant et ne le sera peut-être jamais. Mais il semblerait que ses chercheurs sont peut-être à quelques années tout au plus de démontrer qu’un calculateur quantique simple peut vraiment battre un superordinateur en ce qui concerne certains problèmes bien spécifiques.

Le grand physicien Richard Feynman a été un des premiers à comprendre au début des années 1980 que l’on pouvait mettre à profit les lois de la mécanique quantique pour simuler et mieux comprendre des systèmes quantiques à l’aide d’autres systèmes quantiques. Il se trouve en effet, notamment dans le domaine de la chimie quantique et de la physique du solide que l’on est assez rapidement limité par le volume de calculs nécessaires pour les simuler à l’aide d’ordinateurs classiques. Mais comme l’explique Feynman dans son célèbre ouvrage Leçons sur l’informatique, il est possible au minimum de faire des calculateurs ou des simulateurs quantiques qui permettent de contourner l’obstacle. On doit pour cela utiliser des généralisations des bits d’information classique que l’on appelle des qubits et construire des portes logiques quantiques qui opèrent sur ces qubits. Comme l’indique le physicien Claude Aslangul dans la vidéo en bas de cet article, la superposition quantique et le phénomène d’intrication quantique permettent alors, en quelque sorte, d’effectuer un grand nombre de calculs en parallèle.

La recherche sur les ordinateurs quantiques, ou plus généralement sur les possibilités ouvertes par ce que l’on appelle l’information et les calculs quantiques s’est bien développée depuis une dizaine d’années comme le prouve le livre de Scott Aaronson, Quantum Computing since Democritus. Mais il y a toutefois encore quelques confusions qui règnent dans les médias en ce qui concerne ce que peuvent faire ou ne pas faire des ordinateurs ou des calculateurs quantiques.

Ordinateurs et calculateurs quantiques ne sont pas la même chose

Un ordinateur quantique, comme tout ordinateur, est censé pouvoir être programmable pour exécuter n’importe quel algorithme quantique. Un calculateur quantique ne peut exécuter qu’un seul algorithme ou pour le moins une classe d’algorithme. On ne peut le programmer pour effectuer n’importe quelle tâche. En outre, s’il est bien exact que certains algorithmes quantiques sont capables, si l’on dispose d’un assez grand nombre de qubits, de battre à plate couture un ordinateur classique, cela ne signifie nullement qu’un ordinateur quantique est systématiquement plus performant qu’un ordinateur classique.

Pire, quand un algorithme quantique semble plus rapide qu’un calcul sur ordinateur classique, il est tout à fait possible que le premier soit finalement un jour battu par le second à la faveur d’un algorithme plus efficace. La supériorité souvent avancée des ordinateurs quantiques pourrait bien être toute relative. De fait, c’est ce qui s’est rapidement passé l’année dernière avec un buzz exagéré par beaucoup de médias en ce qui concerne un calculateur quantique, et pas un ordinateur, utilisé par les chercheurs de Google.

Enfin, il y a aussi avec les ordinateurs ou les calculateurs quantiques le formidable problème de la décohérence quantique, l’influence des perturbations de l’environnement qui dégrade d’autant plus rapidement un calcul quantique qu’il repose sur un nombre de plus en plus élevé de qubits. On ne sait toujours pas s’il est possible de s’en affranchir même s’il est sans doute possible d’en limiter les effets avec des codes correcteurs d’erreurs quantiques analogues à ceux déjà utilisés avec les ordinateurs classiques. De fait, lors de l’interview qu’il avait accordé à Futura-Sciences, le cosmologiste Max Tegmark, qui s’intéresse à ces ordinateurs, nous avait dit que les experts du domaine qu’il avait consulté ne s’attendaient pas, en général, à la réalisation d’un ordinateur quantique performant avant 2050.

Toutefois, le célèbre journal New Scientist fait état d’une publication sur arXiv d’une équipe de chercheurs travaillant pour Google et menée par John Martinis. Le physicien, en poste à l’université de Santa Barbara en Californie est bien connu pour ses succès avec les membres de son groupe de recherche dans le domaine des circuits quantiques supraconducteurs.

Scott Aaronson et Matthias Troyer (de l’École polytechnique fédérale de Zurich en suisse) qui ont critiqué avec discernement jusqu’à présent les tentatives de Google dans le domaine des ordinateurs quantiques semblent nettement moins sceptiques avec ce que propose de faire John Martinis.

Une manifestation concrète de la suprématie quantique avec 50 qubits

Il s’agirait de donner une preuve incontestable, pratique et non plus théorique, qu’un calculateur quantique peut effectivement faire mieux qu’un superordinateur dans certains cas, établissant ce que le grand théoricien de l’information quantique John Preskill a appelé la « suprématie quantique ».

On sait que l’algorithme quantique permettant de factoriser un entier en produit de nombre premier, l’algorithme de Shor, peut battre les ordinateurs classiques en théorie. Mais pour le vérifier, il faudrait disposer de centaines voire de milliers de qubits protégés de l’effet de la décohérence. Cela semble presque impossible au moins dans un avenir proche.

Il existerait cependant un type de problème dont on sait qu’il échappe au calcul des superordinateurs classiques mais qui devrait être à la portée d’un calculateur quantique avec seulement 50 qubits. C’est celui de la simulation de ce que l’on appelle un circuit quantique aléatoire capable de manipuler 50 qubits. Pour faire simple, un circuit quantique aléatoire est un assemblage d’un choix aléatoire de portes logiques quantiques. Il peut manifester un comportement qui est du domaine du chaos quantique ce qui veut dire que tout comme en physique classique, une petite variation des conditions initiales de l’état de ce système quantique va donner en sortie du circuit un état quantique qui peut être très différent. Tout comme dans le cas de la turbulence dans les fluides, prédire le comportement d’un tel système est très gourmand en calcul.

Selon les chercheurs, un supercalculateur comme Edison, l’un des plus performants au monde, peut tout juste simuler le comportement de circuits quantiques aléatoires avec 42 qubits, avec 48 qubits, il faudrait 2.252 petabytes.

Martinis et ses collègues sont déjà arrivés à un résultat intéressant avec des circuits supraconducteurs portant 9 qubits. D’après New Scientist, ils ont des chances de réussir à atteindre les 50 qubits d’ici 2017 ou pour le moins dans 5 ans. On verra bien.

Interview : en quoi un ordinateur quantique est-il différent ?  Le monde quantique est fascinant : à cette échelle, par exemple, les objets peuvent se trouver simultanément dans plusieurs états. Exploitant ce principe, un ordinateur quantique aurait des possibilités bien plus vastes qu’un modèle classique. Dans le cadre de sa série de vidéos Questions d’experts, sur la physique et l’astrophysique, l’éditeur De Boeck a interrogé Claude Aslangul, professeur à l’UPMC, afin qu’il nous explique le fonctionnement de cette étrange machine. 

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